Venimos algo atrasados con la transcripción de las entrevistas que hemos estado preparando pero de a poco lo vamos a lograr. Para los amigos y colaboradores bilingues, acá va la versión original y completa de la entrevista con el profesor Jacques Alesi (ver entradas Un Profesor / Una voz de septiembre 2011). Pronto estará disponible una versión en castellano. Aprovechamos la ocasión para contarles que estamos trabajando también dentro del Proyecto Infancia(s) en un intercambio argentino-francés. Les iremos avisando. Se agradece la compañia de Malena Castro Parnin, asi como la ayuda de Jean-Pierre Dubreuil, sus propios colaboradores y de nuestros amigos Pascal Gosselin y Joëlle Lefort, en el proceso de edición de esta entrevista.
« Un type du
métier ».
Entretien réalisé à Creil en
2004 par A. García, une ancienne élève. La discussion a porté tout
particulièrement sur les camps de vacances que Jacques Alési a conduits pendant
toute sa vie d’enseignant. Camps de vacances dont il s’occupe désormais
autrement grâce à l’association Creil Escapade et ses collaborateurs.
- Monsieur
Alési, comment êtes-vous arrivé à Creil ?
- Je suis
arrivé en 1947, tout simplement parce que je cherchais un poste de surveillant,
pas trop loin de Paris, et que j’en ai eu l’opportunité. De 45 à 47, j’étais en
Khâgne à Paris, à Henri IV. Un de mes copains était parti un an plus tôt, il
était pion à l’ENP, puis il a été nommé ailleurs et il m’a dit qu’il y aurait
sans doute un poste de libre. C’est par ce biais-là que ça c’est fait. Cela m’a
permis de continuer à faire mes études à la Sorbonne. Il se trouvait que
dans cette école, une école technique, il y avait une section de classes dites
« nouvelles ». C’était le démarrage de la réforme de l’enseignement,
le plan Wallon, voulu par la
Résistance, qui aurait dû être la grande réforme de
l’enseignement et qui a avorté, finalement, ça aurait coûté trop cher. Mais
disons qu’il y avait des classes expérimentales qui essayaient de travailler
avec une pédagogie relativement nouvelle. Alors... C’est les plus belles années
que j’ai eues, d’une certaine manière. Des classes de vingt-cinq élèves
maximum. Un aménagement horaire qui permettait de faire des tas de choses. Il y
avait des « études du milieu ». On ne savait pas trop ce que c’était.
Quand je suis arrivé, c’était en place depuis quatre ans. Alors on étudiait le
milieu historique, le milieu géographique, le milieu industriel. Mois j’étais
pion mais j’avais en charge quelques uns de ces enfants-là. Parce qu’il y avait
les internes de la sixième qui étaient dans mon dortoir et, quand même, je
voyais ce qui se faisait. De temps en temps on voyait les profs et tout ça.
Après, j’ai passé l’équivalent du CAPES, ça s’appelait le CAEC à l’époque mais
c’était la même chose. Je l’ai passé en 1951 et donc j’avais fait une demande
de nomination, à l’époque on était nommé tout de suite. Je savais qu’il y avait
un collègue qui partait à Beauvais. J’ai su qu’il y avait un poste de libre.
J’ai dû être nommé le 24 septembre pour la rentrée du 1er octobre.
Entre-temps il a fallu faire quelques démarches. Bref, j’ai commencé à la
rentrée 1951 à Creil. C’est d’ailleurs à la suite de ça que j’ai commencé à
faire un camp de vacances. Ça s’est emboîté comme ça. Parce qu’en classe de
cinquième, on travaillait par centres d’intérêt. Les élèves avaient choisi la
montagne. Bon, alors tout le monde parlait de la montagne… même si on n’y avait
pas été. Alors on essayait de centrer le thème à partir de textes d’auteurs
français. Et puis, c’est vers le deuxième semestre qu’il y a des gars, il y a
des élèves qui m’ont dit : « ah… ça serait bien qu’on y aille »…
(rires) Alors, en plus, le directeur
était lui-même un gars du Jura, qui partait en vacances dans les Alpes en
général. Quand je lui ai parlé de ça, ça lui a plu tout de suite parce qu’il
était amoureux de la montagne. Et c’est lui qui m’a dit : « écoutez,
la première année, n’allez pas dans les Alpes, c’est un peu dur, ils sont quand
même petits les enfants. Allez plutôt dans les Vosges ». Il avait traîné ses
bottes par là, il avait même des cartes. Moi, je n’y avais jamais mis les pieds
à ce moment-là. Mais c’est un pays où il y a des tas de sentiers balisés.
C’était magnifique. On est parti quinze jours avec onze élèves, onze gars, dans
les Vosges. Au mois de… je ne sais plus, juillet-août 1951. C’est comme ça que
ça a commencé.
- Puis
cela a continué au collège Gabriel Havez
- En fait, au départ,
Havez n’était pas un CES, mais une annexe de l’ENP. L’ouverture a été
extraordinaire parce qu’il n’y avait qu’un seul bâtiment même pas clos selon
les collègues qui étaient là dès le début avant que je n’arrive. Deux ans
plus tard, c’est devenu administrativement un CES. Un deuxième bâtiment a été
construit avec des bâtiments pour l’administration et la cantine. Quand je suis
arrivé en1965, ça ne faisait pas longtemps que le Principal avait été nommé. Ça
se mettait vraiment en route. L’ancien directeur avait encore un bout de
logement dans le premier bâtiment. Ben oui… J’ai vécu heureux là dedans pendant
22 ans… dans un baraquement …
- Oui…le baraquement…à l’entrée du collège…
- Parce que je l’ai demandé. En fait, les
premières années, à Havez, il y avait mille, mille deux cents élèves, avec des
classes très nombreuses. Ce qui fait qu’on n’arrivait jamais à avoir sa salle.
On passait son temps à se balader, à se balader… Alors je ne sais plus si c’est
en 72, 73 ou 74, par là, j’en ai eu marre de me balader. Tous les ans, je
demandais si on ne pouvait pas avoir une salle, on me répondait que ce n’était
pas possible et c’était vrai. Donc j’ai dit : « Et si je prenais
un baraquement ? ». Ah oui… parce que personne n’aurait aimé en avoir ni
n’en voulait. Alors je leur ai dit : « Je vous propose de
prendre un baraquement… mais j’y reste ». J’en ai fait deux, un du côté
des pompiers, mais qui n’y était plus quand tu y étais, et puis celui de
l’entrée. A un moment donné, il y avait, le long des pompiers, trois baraquements
qui avaient été réformés. Des bâtiments préfabriqués comme ça, que l’Education
nationale livrait, il y en a eu un peu partout quand le directeur disait qu’il
n’y avait plus assez de locaux, tout simplement parce que la communauté
scolaire grandissait trop vite. Ça a duré longtemps. Et puis finalement… on
était bien là-dedans… on avait un bon poêle, ça allait quoi (rires). Quand j’ai changé de baraquement,
j’ai demandé qu’on me transfère le poêle… parce qu’il marchait bien (rires).
- Et
donc, tous les ans, vous avez emmené les gamins en vacances...
- Ça s’est trouvé
comme ça. La deuxième année, nous sommes partis dans les Alpes, il y avait
dix-huit élèves ; la troisième année, en Corse, cinquante… avec des
collègues, des copains, tout ça. Et je les ai emmenés en vacances jusqu’en 93. Alors
justement en 93, j’ai dit que j’arrêtais et d’ailleurs, j’ai arrêté de les
emmener. A ce moment-là, quelqu’un du Service Jeunesse s’en est inquiété et a
décidé, en quelque sorte, de donner une suite à ça. Il nous a suggéré de créer
l’Association Creil Escapade. Alors, par ce biais, un groupe est parti au Maroc
en 94, et on m’a embarqué pour préparer le terrain. J’avais commencé dans le cadre
de l’ENP, puis du collège. C’était des camps de vacances d’établissement. Ça se
faisait beaucoup au début, parce que, à l’époque, on a été aidé… Dans
l’enseignement technique, ce genre d’organisation était une grande tradition.
Il y avait l’A.R.O.V.E.T, Association régionale des œuvres de vacances de
l’enseignement technique, ce qui permettait d’avoir une raison sociale et une
subvention importante. Quand on avait obtenu l’agrément, la subvention était
attribuée automatiquement par camp, au nombre d’enfants. Ensuite l’A.R.O.V.E.T
est devenue l’A.R.O.E.V.E.N, l’Education nationale donc…Quand je suis arrivé à
Havez, nous sommes devenus un camp de vacances de l’A.R.O.E.V.E.N, jusque dans
les années 80. C’étaient des associations régionales donc par académie. Ensuite,
l’A.R.O.E.V.E.N. d’Amiens a connu des affaires invraisemblables de
malversations, de tout ce qu’on veut… Bon, bref, l’A.R.O.E.V.E.N. d’Amiens est
morte en 1980, 81 ; pendant un an, on a dû avoir un fond de crédit que
Havez a récupéré. Et après ça, on est devenu le camp de vacances de la
coopérative de Gabriel Havez. Le problème alors, c’est qu’on n’avait
pratiquement plus de subvention. La situation des gens n’était pas trop
catastrophique à l’époque sur le plan financier, alors on arrivait à vivre
comme ça. On sortait et de temps en temps, on avait un p’tit machin d’Amiens.
Et donc ça a duré jusqu’en 1992… Fin 92, ça devenait délicat : on ne
voulait plus de nous. En 93, on a quand même fait le camp mais sous une autre
étiquette par le biais d’une association.
- Et aujourd’hui ? Vous continuez à
partir ?
- Je fais le repérage.
- Vous partez toujours avant ?
- Jusqu’à présent, je suis
toujours parti avant, avec un ou deux animateurs. Cette année, c’est la Croatie. Quelquefois
on écrit, mais on ne vous répond pas. L’autre jour, on a reçu un coup de fil de
Dubrovnik, en anglais. Moi, je ne sais pas un mot d’anglais. C’en est resté là.
Il y a une Alliance française à Split, je leur ai écrit, ils n’ont pas répondu…
Je téléphone : « Ah oui ! C’est vous… vous avez écrit il y
a quelque temps, non ?... Au fait, qu’est-ce que vous
cherchiez ? » (rires).
Je devrais rappeler ces temps-ci, mais je ne sais pas si je vais le faire ou si
je vais me contenter… Si je suis sûr d’y aller avant, ça sera aussi bien, on
s’arrangera au dernier moment.
- Et avec les enfants, ça se passe comment ?
- On n’a jamais eu de gros ennuis,
sauf, les dernières années, où ça a un peu flotté, mais je pense que
l’encadrement était flottant aussi, alors on ne peut rien dire. Mais les
groupes que Pascal Gosselin (responsable de l'association Creil Escapade)
a emmenés en Grèce, en particulier Havez en l’an 2000, ça a été vraiment du
gâteau, y compris dans le camping. Ils sont restés en très bons termes avec
tous les patrons du camping. Ce n’est pas évident quand tu te balades avec un
groupe. Ce qui m’avait frappé la dernière fois que je suis allé avec eux,
c’était au Portugal il y a deux, trois ans, en 2001. J’étais resté à les attendre,
dans un terrain, ce n’était même pas un camping, et bon, ils n’étaient pas
faciles à calmer. C’était un groupe pas désagréable mais quand même agité,
c’est la réputation d’Havez d’ailleurs. Comme disait toujours la prof de Gym à
Havez quand elle emmenait des groupes : « Ils sont gentils, les
enfants, mais qu’est-ce qu’ils font du bruit ! » (rires). Ce qui m’avait frappé, c’est
que, bon, je les ai quittés là, juste avant la dernière étape, et ils ont fait
un très bon retour. Ils ont eu juste un petit pépin parce qu’il y a un gars qui
a jeté un mégot et ils ont foutu le feu à un champ. Y a pas besoin d’être
d’Havez pour ça ! Non mais c’est vrai, quoi… Ce qui m’a frappé, ça a été
le dernier camp, au Portugal. On était dans un orphelinat, un endroit où on
retournait régulièrement quand on allait là-bas. C’était d’ailleurs en travaux,
il y avait un petit terrain où camper. J’étais arrivé un jour ou deux avant eux
pour bien voir les lieux, mais j’avoue que j’étais inquiet, parce qu’il y avait
des choses qui étaient sacrément sommaires, c’était les sanitaires : deux
ou trois toilettes, deux douches, trois lavabos, pour quand même cinquante…Je
me suis dit « oh là là... qu’est-ce que ça va faire ? ». Et il ne
s’est rien passé du tout. On n’a eu aucun problème. Les gosses étaient
d’ailleurs beaucoup plus calmes au retour qu’à l’aller, peut-être qu’ils
étaient fatigués !
- Le maximum
d’élèves que vous avez eus, pour avoir une idée, quand il y avait de grands groupes ?
- Des hordes !
(rires) On a dû monter à cent-quatre-vingt,
au Portugal d’ailleurs, le premier Portugal. J’ai des archives de tout ça. Je
ne sais pas si on pourrait le refaire. Ça, c’est peut-être un changement dans
les mentalités. Je ne vois pas ça se faire à l’heure actuelle. Il y avait des
moments où c’était un peu le foutoir mais quand même… Je ne sais pas si ça
arriverait à être vivable. Parce qu’en fait la question est : ça marchait,
pourquoi ? Parce que chaque groupe fonctionnait bien. Parce que tout seul,
tu as beau être Directeur, tout seul ce n’est pas toi qui… quand il y a cent
cinquante personnes… On ne manie pas cent cinquante personnes ! Tu peux
travailler en cohésion avec les animateurs. On a bien eu jusqu’à huit ou neuf
groupes. Parce que ça nous semblait évident mais ce n’est pas évident pour tout
le monde. On a relativement peu de moyens. En ce qui concerne les animateurs,
certains s’y mettent très bien, d’autres ne s’y mettent pas. Tu as des gens
comme Jean-Marie, tu l’as peut-être connu, tu sais qu’il s’occupe des grands,
tu ne t’inquiètes pas. Parce qu’il y a des gens comme ça, c’est tout. Parfois
il y a des difficultés, des animateurs qui, à la dernière minute, ne peuvent
pas venir, il faut alors les remplacer. Ou alors, je me souviens d’un gars qui
a fait ce qu’il a pu mais qui s’est retrouvé avec une animatrice qui n’était
pas drôle, c’est encore autre chose… bien qu’enseignante… et qui ne reviendra
pas … (rires). Ah… ce n’est pas
facile le « casting » !
- Est-ce qu’il y avait des équivalents,
d’autres initiatives comme celle-là ?
- Je n’ai
jamais su… En itinérant, je ne sais pas. En fixe sûrement. Dans l’Enseignement technique,
il y a eu sans doute quelque chose comme ça. C’est vrai que, quand on annonçait
notre effectif, en général… D’ailleurs… il y a ça aussi, je ne suis pas sûr
qu’à l’heure actuelle… maintenant quand tu annonces un groupe de cinquante dans
un camping, on te regarde, et on te dit non. Certains campings ne prennent pas
de groupes. Alors toi, en Grèce, c’était en 1987, tu t’en souviens ? Pour
aller à Mykonos, nous étions partis du Pirée ou du petit port à côté ?
- Je ne sais plus… Je ne sais plus d’où on était parti… je
me souviens de l’arrivée… Justement… il fallait qu’on soit sage, on ne l’avait
pas été, et vous nous aviez engueulés sur la place de Mykonos.
- Je m’en souviens,
oui.
- Parce qu’il n’y avait pas de camping en fait…
- Et il ne fallait pas se faire
voir… Ils l’ont encore fait en 2000.
- Mais alors, côté pratique, quand vous
décidez de faire un camp, je suppose qu’il y a quelque chose à faire auprès de l’Education Nationale…
- Auprès de la Jeunesse et des Sports. Les camps doivent être déclarés, dès
qu’il y a plus de douze personnes, je crois, plus de quatre ou cinq jours.
- Et comment faisiez-vous alors…parce que,
quand je suis partie en Grèce, je me souviens
que je n’avais pas mes papiers tout à fait en ordre…
- Oui, ben ça,
c’est quelque chose qu’on ne peut plus faire maintenant.
- J’avais je ne
sais plus quel problème avec mon passeport et il y avait une frontière qui était particulièrement
délicate à passer.
- Oui, la Grèce.
- Et une des animatrices avait résolu le
problème, elle avait été extraordinaire.
- Oui…Christelle…C’est
sûr, c’est elle… Ben si tu veux, les papiers, c’est à nous de nous débrouiller
pour les avoir. Tant qu’il ne se passe rien, c’est tout. Alors quand je pense
aux gens qu’on a passés comme ça, en douce, il y en a eu un certain nombre... Moi,
je ne savais pas comment faire, mais j’avais des copains étonnants, surtout
avant toi, quelques années avant… Quand on prenait le train des fois… il y
avait une façon de flanquer un tel bazar qu’à la fin, les gens ils renonçaient.
J’avais un copain qui avait le chic pour tout emmêler. Personne n’y comprenait
plus rien ! Oui, ça nous est arrivé. Un des plus beaux coups qu’on ait
faits, c’est en 92 pour la
Grèce. On a passé une petite qui n’avait pas de papiers. Une
histoire de fous. Une famille avec des difficultés. On avait déjà emmené les
grands, un ou deux ans avant. Tout d’un coup, on apprend que les enfants ont
été mis à la DASS
parce qu’il y avait des problèmes dans la famille, etc.…Bon, donc on contacte la DASS pour demander si on ne
pouvait pas emmener les gosses vu qu’ils étaient inscrits. On avait encore un
mois à peu près. Ils nous ont dit « Non, ce n’est pas possible, parce
qu’il faut qu’ils s’habituent ». Donc ils ne nous ont pas lâché les
gosses. Mais dix jours après, ils retournent dans la famille et donc ils
viennent en Grèce, les trois enfants, dont une petite qui avait une dizaine
d’années, quoi. La petite s’amène, elle me saute au cou, elle me fait la bise… et
la mère me dit qu’elle n’a pas ses papiers (silence).
La gamine me regarde, je lui dis : « Monte ! », mais
oui, mais après ?... Là, pour entrer en Grèce, il y avait une animatrice
qui avait sa fille sur son passeport. Ben voilà (…). Bref, on parlait de
Mykonos…
- Oui, il n’y avait pas de camping et c’était
très bien …
- Maintenant,
on ne peut plus faire du camping sauvage comme on faisait…J’en ai d’excellents
souvenirs. Un jour à Syracuse… il y avait un terrain comme ça, entre des H.L.M.
et un terrain vague …Un jour, vers midi, on voit des gens qui nous appellent
des fenêtres, et qui font descendre quelque chose au bout d’une ficelle…c’était
des glaçons ! J’ai des souvenirs formidables comme ça : ce qui se
passe avec les gens.
- Oui, en Sardaigne, il y avait une fête
populaire, nous avions tous dansé avec les gens du village, tous en groupe.
- Ah oui…
- J’en garde un merveilleux souvenir.
- Oui, ben ça
ne m’étonne pas.
- Donc, en somme, vous avez eu deux métiers,
Monsieur Alési ?
- Oui… Mais
enfin quand même…celui-là prenait moins de temps… Maintenant, à la limite,
ça me prend plus de temps, si j’ose dire, parce qu’il y a tellement plus de
paperasse à faire maintenant qu’à l’époque. D’autant plus qu’il faut bien qu’on
demande des subventions
- Qui subventionne aujourd’hui ?
- Nous sommes maintenant
subventionnés par la Jeunesse
et les Sports, dans le cadre VVV (Ville, Vie, Vacances), opérations VVV qui ont
pris la suite des opérations OPE (Opérations Prévention Eté). Il s’agissait de
subventionner tout ce qui pouvait empêcher que les étés soient chauds dans les
banlieues. C’était ça au départ… Et puis, je n’y connaissais rien. C’est dans
le cadre de l’Association… que j’ai été mis au courant de ça, tu
comprends ? Parce que moi, j’ai du mal dans ce genre de choses, ces
affaires légales…C’est terrible, mais je suis allergique à tout ce qui est
lois, tout ça. Alors donc, on a cette subvention et on en a une de la ville. Et,
cette année, on aura peut-être un complément du Conseil Général, si on en a besoin,
parce que s’il faut un Directeur qui ne soit pas un de nos copains, il va bien
falloir trouver le moyen de le rémunérer un peu. Ça me fait suer, parce que
c’est plus la même chose. D’un autre côté, c’est indispensable, sinon, on ne
part pas. On ne va pas annoncer aux familles qu’on ne part pas. Ce qu’il y a
surtout, c’est que, si on ne part pas, ces gamins-là ne partiront pas. C’est ça
le problème. C’est ça qui serait embêtant. Ils ne verraient pas la Croatie et resteraient à
Creil. Ah…on va y arriver. J’ai vraiment raclé les fonds de tiroir de tous les copains.
J’en ai un tas qui seraient disponibles éventuellement.
- Monsieur Alési, quand vous avez commencé à emmener
les gamins, ça s’inscrivait dans la continuité du programme d’étude. Et,
ensuite ? Vous étiez tout seul. Il y avait des gens avec vous ?
- C’est une
affaire qui s’est faite entre copains. Pour le deuxième groupe, ils étaient
dix-huit, je suis parti avec un gars qui était, à l’époque surveillant à
l’E.N.P. L’année suivante, c’était avec un collègue qui était aux ateliers. Et
puis, pendant un certain nombre d’années, il y a eu un collègue par-ci, un
collègue par-là, et puis un professeur de Maths qui a fait un ou deux camps
avec moi, jusqu’au jour où il est devenu Maire de Verneuil…c’était foutu il fallait
qu’il y soit pour le 14 Juillet (rires).
C’est idiot mais c’est vrai. Ses fils sont venus, puis sa fille. Et puis, en 62,
j’ai embarqué un collègue des ateliers qui s’appelait Thomas. Il a fait la Sicile en 62, et a fini en
77. On a fait seize camps ensemble. Et on a fait ensemble les trois-quarts des
repérages avant le camp. Et, comme il était prof d’atelier, quinze jours avant
le départ, un samedi après-midi, j’emmenais la 2 CV à Nogent-sur-Marne et dans les ateliers, on
faisait ce qu’il fallait pour la mettre en état (rires).
- C’est quoi votre secret ?
- Elle était
moins belle il y a quelques années… Mais il y a deux ans, on l’a repeinte avec
de la vraie peinture pour auto. C’est pour ça qu’elle est si belle !
- Tout à l’heure, on va la prendre en photo.
- Oui… (rires). On l’entretient, c’est tout, on
l’entretient. Heureusement, je connais un petit garagiste, un petit artisan, ce
n’est pas facile à trouver. Le jour où le châssis pourrira, ce sera foutu, quoi.
Le dessous est très corrodé. Mais le châssis est bon.
-Vous l’avez depuis quand ? C’est
vraiment un grand mystère pour nous tous.
- Elle est de
59. On a quand même changé une fois le châssis, en 76 ou 80, je ne sais plus.
Ce garagiste faisait les pneus chez Shell. Maintenant, on se connaît, il voit
ce qu’il y a à faire et il le fait, c’est tout. L’autre jour, c’est lui qui l’a
emmenée au Contrôle technique. Tu sais, ce contrôle technique précise tout ce
qu’il est recommandé de faire… mais que tu n’es pas forcé de faire…il y a dix-huit
points de contrôle (rires).
- Elle a été partout cette 2 CV ?
- Ah ben, elle
a vu tout le pays, et elle a fait tous les camps jusqu’en 93. Un journaliste me
l’a demandé l’autre jour, j’ai calculé qu’elle doit avoir 5 ou 600 000 kms.
mais elle doit bien en avoir 150 000 de camps de vacances. Parce que,
quand tu comptes une trentaine de camps, à raison de 5000 bornes par camp, ça
fait bien les 150 000… De toutes manières, c’est le cinquième ou sixième
moteur, je ne sais plus. Il vient d’Avignon d’ailleurs. On l’a changé en 93. On
a eu du mal à arriver jusqu’à Avignon… La caisse commence à souffrir
sérieusement, on a des morceaux à chaque fois. Le moteur, c’est le même
garagiste qui s’en est occupé. Il a changé la boîte de vitesse il y a quelque
temps. Enfin, c’est là qu’on voit que, même si tu peux régler toi-même ta 2 CV,
quand c’est fait par un type du métier, ça se sent.